Les actionnaires français captent-ils autant de richesses que le dit Oxfam ? Spoiler : non

Si tu ne t’es pas fait insulter par un économiste de plateau télé avant 50 ans, c’est que tu as raté ta vie. Pour ma part, je peux dormir tranquille car cette case est désormais cochée !

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Peut-être avez-vous entendu parler du « nouveau rapport d’Oxfam », en général la garantie d’un résultat bien orienté et caricatural. Le petit dernier porte sur les dividendes versés par les firmes du CAC 40 à leurs actionnaires.

Pour être honnête, ces rapports, partisans, sont tellement fumeux que je n’y prête plus attention. Mais le dernier m’a été mis sous le nez par l’intermédiaire d’un économiste de plateau télé des plus fameux : Thomas Procher.

Ce dernier a en effet déclaré sur Arte, à partir de ce rapport :

“Ce qui paraît aujourd’hui complètement fou c’est que ⅔ de la richesse créée collectivement est captée par les actionnaires.” @PorcherThomas @atterres #CAC40 #28min

— 28 minutes (@28minutes) May 15, 2018

Or, cette phrase est complètement fausse. Ce qui a valu à Thomas Porcher d’être sévèrement repris par la twittosphère économique, moi inclus (certains ont supprimé leur tweet depuis) :

Ça n’est pas « économiste atterré », c’est « économiste atterrant ».

Et encore : peut-on encore se prévaloir de quelque proximité que ce soit avec la science économique en proférant une telle ânerie ? Ou mensonge, car à ce niveau cette hypothèse *doit* être envisagée…

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 16, 2018

Le problème que j’ai avec la phrase de Thomas Porcher, très engagé politiquement, est que l’erreur qu’elle contient est d’un niveau élémentaire pour un économiste. Un étudiant de deuxième année d’université, à qui on a expliqué comment est calculé le PIB, saurait l’identifier.

En l’occurrence, si l’on regarde les chiffres de l’INSEE, on se rend compte que c’est plutôt 10% de la richesse produite qui va en dividendes, pas 66%…

Sinon, pour ceux intéressés par ce qu’on appelle couramment « les faits », @InseeFr mesure qu’environ 30% de la richesse part dans les profits (« excédent brut d’exploitation »), qui servent de base aux dividendes. Donc c’est AU PLUS 30%.

Et c’est 60% pour les salaires.

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 16, 2018

La vraie part est en réalité de 10%, toujours d’après @InseeFr : https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/dividendes-records-salaires-en-hausse-mais

C’est juste SIX FOIS MOINS que ce que dit @PorcherThomas.

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 16, 2018

On notera d’ailleurs que certes, la part des actionnaires augmente depuis quelques années. Mais c’est aussi le cas pour celle des salariés.

La situation est sans doute plus complexe que « les actionnaires se goinfrent sur le dos des salariés ».

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 16, 2018

On m’a répondu que je n’avais pas regardé l’entièreté de l’émission, qu’il me manquait des éléments de contexte. Peut-être. Mais disposer de ces éléments de contexte ne rendront pas l’information contenue dans la phrase de Thomas Porcher vraie. Elle est factuellement fausse, point. Ma critique n’est pas autre que celle-ci. Et connaître le contexte ne changera pas la fausseté des mots prononcés.

Là où la discussion sombre en-dessous du niveau de la mer, c’est lorsque Thomas Porcher a répondu aux critiques par… des attaques personnelles en tout genre.

Le blogueur déclassé @adelaigue, les génies de l’Opinion (@remigodeau, @CyrilleLachevre) et ceux de BFM biz biz (@ssoumier) en se basant sur une phrase tirée d’un tweet pensaient (en bavant) que je confondais VA et bénéf. Regardez l’émission en entier. Bande de charlots.

— Thomas Porcher (@PorcherThomas) May 16, 2018

Pour être parfaitement honnête, ce tweet concerne aussi la journaliste à L’Opinion (à défaut d’en avoir une) @emma_ducros, les grands (et plus petits) économistes desséchés de laboratoire (par ordre hiérarchique @Dsraer, @simardcasanova) et le journaliste centenaire @WeillClaude

— Thomas Porcher (@PorcherThomas) May 17, 2018

Au-delà du fait que les attaques personnelles sont des sophismes qui ne permettent pas de réfuter les idées attaquées (puisque ça ne sont pas les idées qui sont attaquées, mais les personnes qui les défendent, donc sans rapport), je note avec une certaine interrogation que pour quelqu’un prétendant défendre des idées de gauche, me qualifier de « petit économiste » au prétexte que je ne suis ni chercheur titulaire, ni dans une grande université américaine (ce qui est le cas de David Sraer), c’est, disons, étonnant.

Je viens d’un milieu populaire, personne dans ma famille n’a été plus loin que le DUT dans sa formation initiale, donc personne n’a été là pour m’aider à choisir les meilleures stratégies à l’université, ni m’apprendre les codes du milieu ou m’expliquer ce qu’était réellement la recherche. Je suis né à la campagne, j’ai grandi en province, je n’ai jamais vécu à Paris, je n’ai pas fait de prépa ni intégré de grande école (ça n’est pourtant pas faute d’avoir essayé). J’ai appris sur le tas, parfois très violemment, en bossant sans relâche depuis que j’ai quinze ans (j’en ai 30), au point d’ailleurs d’y avoir laissé des plumes avec un burnout il y a quelques années. Je ne suis donc peut-être qu’un « petit économiste », mais ça n’est pas faute d’avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir, cher Thomas Porcher, pour qu’il en soit autrement. Vous saurez d’ailleurs que malgré ces quinze ans d’effort, je n’ai pas réussi mon pari à intégrer le milieu académique et serai contraint de le quitter une fois mon doctorat soutenu. Mes futures critiques seront donc encore plus facile à « réfuter », j’imagine.

Vraisemblablement, la lutte contre les hiérarchies sociales illégitimes ne semble pas tant lui importer lorsqu’il s’agit de répondre à ses « adversaires » (ce que je ne suis pas, car il ne me semble pas que corriger une monstrueuse erreur soit le signe d’une intention hostile, mais bref). Ou comment il utilise la violence sociale de la société française à son profit lorsque cette violence semble servir ses intérêts.

Je note également que lorsqu’il s’agit de se prévaloir de titres universitaires et d’affiliations professionnelles pour asseoir sa crédibilité auprès du grand public, Thomas Porcher ne semble pas être gêné de vouloir se réclamer de certains « laboratoires ». Est-il donc aussi « désseché » que je le serais aussi, si d’ailleurs ce qualificatif avait le moindre sens ?

J’ajoute qu’en lisant votre bio, ça n’a pas l’air de vous poser trop de problèmes de vous réclamer de certains « laboratoires ».

Donc en plus d’attaquer les gens plutôt que les idées, vous appliquez aux autres des traitements que vous ne vous appliquez pas à vous même.

??

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 17, 2018

Cela étant, je ne suis pas dupe sur ce qui est à l’œuvre ici : l’objectif de Thomas Porcher n’est pas tant de tendre vers la vérité que 1) d’exister médiatiquement, en faisant un coup (n’est-ce pas là le propre des économistes de plateau télé ?) 2) de flatter sa communauté très politique dans le sens du poil en lui donnant le sang dédominan 3) de renforcer ses convictions plutôt que de les questionner, ce qui différencie le chercheur du militant :

La différence entre un militant et un scientifique ?

Un militant cherche à prouver que son argument est vrai. Un scientifique cherche à prouver que son argument est faux.

Ça peut sembler insignifiant, mais cette différence fait TOUTE la différence.

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 15, 2018

Dans mon travail de vulgarisateur, quand on me dit « tu racontes n’importe quoi », il faut en fait comprendre « j’ai une vision du monde et ta science vient d’aller à son encontre ».

Spoiler : la science se fiche des visions du monde. C’est pour ça qu’elle est si puissante.

— Olivier Simard-Casanova (@simardcasanova) May 15, 2018

Sa mention m’a d’ailleurs permis de récolter quelques followers et d’affiner ma réflexion sur les liens entre recherche et militantisme, alors bon ? D’autant qu’il a vraisemblablement laissé passer la nuit entre ses deux tweets d’attaques personnelles, si j’étais aussi « petit » qu’il le dit, pourquoi prendre du temps pour me répondre ? ??‍♂️

Pop-corn et discussions de caniveaux mis à part, que vaux vraiment l’étude d’Oxfam qui a mis le feu aux poudres ? Sans surprise, pas grand chose, comme le suggère cet article publié dans The Conversation.

Avant de vous laisser lire l’article réfutant les conclusions de l’étude d’Oxfam, une dernière remarque : que ce soit par le biais d’Oxfam ou par le biais de Thomas Porcher, cette histoire est une illustration du danger de ne pas avoir de vulgarisateurs non-partisans en économie. Car les deux font la une, mais les deux en racontant n’importe quoi. Et ce qui m’inquiète dans l’histoire, c’est le sort des citoyens qui n’ont pas eu l’opportunité d’être formés à l’économie : comme dans d’autres circonstances, le risque est qu’ils se fassent avoir en gobant tout crû les idées fausses qu’on leur présente. La démocratie sort-elle renforcée lorsque les citoyens ne sont pas correctement informés sur des sujets aussi important ? J’en doute…

Bonne lecture !

Rapport d’Oxfam : donne-t-on vraiment trop aux actionnaires du CAC 40 ?

Rapport d’Oxfam : donne-t-on vraiment trop aux actionnaires du CAC 40 ?

Le dernier rapport d’Oxfam France accuse les grandes entreprises du CAC 40 de creuser les inégalités au profit de leurs actionnaires. Et si les choses étaient moins simples qu’il n’y paraît ?

theconversation.com/rapport-doxfam-donne-t-on-vraiment-trop-aux-actionnaires-du-cac-40-96691

via Olivier Bouba-Olga

Image de couverture : métaphore de ce que je pense des discussions économiques à la télévision française en 2018.

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

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Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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