Hétérodoxe ou mainstream : et si ça n’était pas important ?

À tort ou à raison, les économistes sont régulièrement catégorisés comme « hétérodoxes » ou mainstream. Mais si cela faisait perdre de vue l’essentiel, à savoir la quête de la meilleure explication scientifique possible ?

À tort ou à raison, les économistes sont régulièrement catégorisés comme « hétérodoxes » ou mainstream. Mais si cela faisait perdre de vue l’essentiel, à savoir la quête de la meilleure explication scientifique possible ?

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La rentrée 2016 avait été des plus agitées dans la profession des économistes français : Pierre Cahuc et André Zylberberg sortaient un ouvrage intitulé Le Négationnisme économique, et déclenchait par là même une virulente polémique.

Le propos de l’ouvrage consistait à dire qu’il existe, dans le débat public, des personnes qui prétendent réfuter des résultats scientifiques par le biais d’arguments non-scientifiques. Religion, idéologie politique, intérêts économiques, le livre passait en revue une vaste étendue de situations et montraient les positions parfois « accomodantes » de certains avec l’état le plus récent des connaissances en science économique.

J’avais à l’époque de la sortie de l’ouvrage écrit une tribune sur Passeur d’Éco (l’ancêtre du Signal Économie) pour dire que j’adhèrais complètement à l’analyse principale qui était faite par l’ouvrage, à savoir qu’il existe effectivement des négationnistes de la science économique dans les médias et qu’il convient de s’opposer à leur discours1J’étais toutefois moins convaincu par l’idée que la science économique serait devenue « pleinement expérimentale ». Mais c’est une question latérale par rapport à ce que je souhaite discuter aujourd’hui..

Toutefois, ce qui m’a gêné dans cette polémique (outre sa virulence et la superficialité d’une grande partie des critiques faites à l’ouvrage, sans parler de la mauvaise foi…) a été l’assimilation parfois un peu rapide entre « hétérodoxe » et « négationniste ». C’est une assimilation que j’ai entendu des deux côtés : dans l’ouvrage, les économistes hétérodoxes sont considérés comme relevant d’un groupe unifié alors que l’hétérodoxie en économie est plurielle [zotpressInText item= »{NINURR9S} »] :

It is well known that many varieties of heterodoxy have more disagreement with each other than they do with orthodoxy.

Sur les différences entre néoclassique, mainstream et orthodoxe, je vous renvoie d’ailleurs à ce lien partagé :

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Du côté de certains hétérodoxes critiqués par l’ouvrage (ou qui ont pris les critiques pour eux), l’assimilation un peu rapide que font Cahuc et Zylberberg leur a donné l’opportunité de ne pas répondre aux critiques de fond mais de se contenter de cris d’orfraies.

Toutefois, il serait un peu rapide d’assimiler hétérodoxie à négationnisme – et réciproquement d’ailleurs, un économiste non-hétérodoxe pouvant parfaitement faire œuvre de négationnisme scientifique.

On peut même aller encore plus loin, comme dans cette tribune de Philippe Delacote, Antoine Leblois et Serge Garcia de l’INRA (lien plus bas) et dire qu’au fond, hétérodoxe ou non-hétérodoxe, cela ne devrait pas importer ; ce qui devrait importer est les arguments que vous avancez, pas de quel côté de cette ligne (j’ajoute : que les hétérodoxes sont les seuls à tracer) vous vous situez.

D’après moi, se prétendre hétérodoxe en critiquant la science économique telle qu’elle existait dans les années 1950 n’est pas une attitude intellectuelle acceptable2Dire que j’ai déjà entendu des personnes se disant hétérodoxes tenir des propos d’une abyssale mauvaise foi est un doux euphémisme. ; mais réfuter par principe toute critique dès lors qu’elle ne viendrait pas de certains cercles bien identifiés n’est guère plus acceptable. Car dans les deux cas, la victime de ces querelles est l’avancée des connaissances que sont sensés accumuler les économistes, et plus secondairement la manière dont la science économique est perçue par le grand public – et donc l’effet que peuvent avoir ces connaissances sur la société.

Toutefois, et pour conclure, j’ajouterai qu’il ne faut pas être naïf sur les querelles de pouvoir que sous-tendent certaines de ces « luttes » intellectuelles. J’ai parfois entendu des « critiques » d’une telle pauvreté intellectuelle venant de personnes supposément intelligentes qu’il y avait de quoi s’étonner de les voir occuper les positions prestigieuses qui étaient les leurs ; mais lorsque l’on pondère ces « critiques » par le fait que les travaux « critiqués » pouvaient, à moyen terme, remettre en jeu ces positions prestigieuses, elles prennent d’un seul coup une tonalité fort différente…

Hétérodoxes contre orthodoxes : zéro partout chez les économistes

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Il est temps de déconstruire l’opposition entre économistes prétendus orthodoxes et hétérodoxes, qui semble reposer sur des critères trop nombreux et en partie arbitraires.

theconversation.com/heterodoxes-contre-orthodoxes-zero-partout-chez-les-economistes-88127

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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