Expérimenter avant de réformer : c’est imparfait, mais mieux que rien

L’expérimentation de politiques publiques est un outil essentiel mais imparfait, dont il faut avoir conscience des limites. Exemple avec le revenu universel en France.

L’expérimentation de politiques publiques est un outil essentiel mais imparfait, dont il faut avoir conscience des limites. Exemple avec le revenu universel en France.

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Huit départements ont récemment proposé d’expérimenter un revenu universel. On ne connaît pas encore les détails de cette expérimentation, mais dans une tribune publiée dans Les Échos (lien plus bas), Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE, explique que cette expérimentation aura vraisemblablement plusieurs limites.

Parmi elles :

  1. elle est temporaire, alors qu’un « vrai » revenu universel ne le serait pas. Ces horizons différents peuvent avoir des effets (au moins en théorie, c’est moi qui l’ajoute) sur les décisions individuelles
  2. elle ne concernera qu’une partie de la population. Or, des effets « de groupe » associés au revenu universel peuvent émerger, mais uniquement si une part suffisamment élevée de la population le reçoit (un genre d’effet de seuil, en somme)
  3. un « vrai » revenu universel serait vraisemblablement accompagné d’une profonde modification de la fiscalité, ce qui influencera les comportements (parfois en « parasitant » les effets du revenu universel)

Je ne suis pas spécialiste des questions soulevées dans cette tribune, alors je ne vais pas discuter le détail des points soulevés mais me contenter de remarques générales1Je serais toutefois curieux d’avoir les références scientifiques derrière les trois arguments listés, car en l’état il est difficile d’identifier ce qui relève de résultats établis et de pistes possibles mais non-vérifiées..

La première remarque que je souhaite faire est que sur le fond, il me paraît raisonnable de dire que toute expérimentation souffre par essence de limitations. Une expérimentation, en économie comme dans toute les autres disciplines scientifiques, ne peut être qu’une sorte de version « simplifiée » de la réalité (ou, ici, de la « vraie » réforme). Et je veux rendre explicite une idée qui me paraît être seulement suggérée dans la tribune de Guillaume Allègre : au moment où l’on interprètera les résultats de cette expérimentation (ou de toute expérimentation, d’ailleurs), il faudra le faire en prenant en compte ses limites2Il s’agit bien évidemment d’un vœu pieux, car je ne doute pas que les partisans du revenu universel sur- ou mal-interpréteront les effets « positifs », et les personnes opposées sur- ou mal-interpréteront les effets « négatifs » – j’utilise des guillements car ici, « positif » et « négatif » sont des jugements de valeur et peuvent difficilement faire l’objet d’une discussion scientifique..

Ce qui m’amène à ma seconde remarque : la conclusion de la tribune me paraît trop forte. La voici :

L’expérimentation du revenu universel ne marcherait que sur une jambe. Pour ces raisons, on peut donc être dubitatif quant à sa pertinence.

Oui, cette expérimentation du revenu universel sera imparfaite. Mais de là à dire que ces imperfections pourraient ne pas la rendre « pertinente », non. Marcher sur une jambe, cela n’obère pas nécessairement la capacité à marcher. C’est d’autant plus vrai que les critiques soulevées par Guillaume Allègre sont profondes, et touchent toutes les formes d’expérimentations.

Faut-il alors en conclure qu’il ne faut jamais expérimenter ? Qu’il faut se contenter de simulations informatiques, qui souffrent elles aussi de limitations ? Qu’il faut peut-être implémenter directement un revenu universel dont le coût annuel serait compris entre 35 et 350 milliards d’euros sans passer par la case expérimentation ?

Une fois encore, que l’expérimentation soit par essence imparfaite, bien évidemment. Mais avoir de l’information imparfaite qu’il faudra interpréter comme telle me paraît préférable à ne pas avoir d’information du tout. Il me semble que vu les sommes en jeu, récolter le maximum d’informations avant d’éventuellement généraliser la mesure est une attitude raisonnable.

Enfin, un quatrième argument est également mobilisé comme critique de cette expérimentation :

Les défenseurs du revenu universel espèrent qu’il améliorera le pouvoir de négociation des travailleurs qui pourront refuser des emplois de faible qualité, ce qui pourrait augmenter les salaires associés à ceux-ci. Avec un tirage aléatoire, on ne pourra pas capter ces effets.

Il me semble que cet argument ne tient pas, car on pourrait justement utiliser ce tirage aléatoire pour faire un groupe test et un groupe de contrôle composés chacun de personnes aux caractéristiques identiques, et comparer les profils de salaire dans les deux groupes. Si l’expérimentation porte sur plusieurs dizaines de milliers de personnes, une comparaison statistiquement propre de ce type me paraît envisageable.

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Revenu universel : l’impossible expérimentation

Revenu universel : l’impossible expérimentation

L’expérimentation du revenu de base à grande échelle serait confrontée à plusieurs limites.

www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0301116560520-revenu-universel-limpossible-experimentation-2143715.php

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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