Qu’est-ce que… la science économique ?

La « science » économique… Peut-on réellement « faire de la science » sur les questions économiques ? Découvrez quelques éléments de réponse dans cet article.

La « science » économique… Peut-on réellement « faire de la science » sur les questions économiques ? Découvrez quelques éléments de réponse dans cet article.

Il me semble qu’il existe (au moins) trois manières de définir la science économique. Cette dernière est :

  1. la science qui étudie nos économies
  2. une science de la décision (rationnelle)
  3. un ensemble d’outils pour étudier notre monde social

Image de couverture : Intérieur du port de Marseille, Joseph Vernet, 1753. Voir la version originale

Une définition historique

Historiquement, la science économique a d’abord été nommée « économie politique », car l’objectif du projet de ses précurseurs était d’aider à « mieux » gouverner – je reviendrai sur ce que « mieux gouverner » veut dire dans de prochains articles. Avec les Lumières et l’avènement des sciences comme outil d’investigation du réel, il était devenu tentant d’utiliser la méthode scientifique pour mieux comprendre le fonctionnement de nos économies — et donc pour prodiguer des conseils plus éclairés aux gouvernants.

Pour cette raison, elle s’est initialement développée autour de l’étude de l’économie – vous pouvez accéder à une définition de l’économie par ici. Le titre de l’ouvrage fondateur de la discipline, publié en 1776 par le philosophe écossais Adam Smith, est d’ailleurs révélateur : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (qu’on abrège souvent en Richesse des nations). Mais depuis, les choses ont grandement changé.

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De nos jours l’économie politique désigne plutôt une branche des sciences économiques qui s’intéresse à la manière dont fonctionne le monde politique, y compris la haute administration1D’autres utilisent « économie politique » pour désigner une approche où se mêlent science et idéologie politique. Au-delà du fait qu’il s’agisse pour moi d’un projet dont le concept même est antinomique (comment peut-on faire de la science si l’on se réclame d’une quelconque idéologie ?), cet usage étant extrêmement minoritaire je ne vois pas de raisons de lui en faire une publicité plus importante que cette note.. En outre, la science économique n’est plus la seule à étudier l’économie : la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la psychologie ont (entre autres) développé des corpus scientifiques tout à fait rigoureux sur des sujets économiques. Enfin, la science économique elle-même a vu son objet d’étude profondément évoluer.

La définition principale : une science de la décision (rationnelle)

À la fin du XIXème siècle, un ensemble d’économistes ont travaillé sur une nouvelle manière d’approcher les problèmes économiques : on les appelera ex post les néoclassiques, parfois aussi marginalistes. On pourrait résumer leur démarche par un usage très soutenu des mathématiques (pour modéliser les différents phénomènes sociaux), un accent mis sur l’étude des décisions individuelles et l’usage d’un raisonnement dit « à la marge ».

Il faudra quelques décennies pour que cette nouvelle approche soit comprise et digérée. En 1932, Lionel Robbins, un économiste anglais, propose une définition de la science économique qui résume ce qui était alors dans l’air du temps :

La science économique est (1) une science (2) qui étudie les comportements humains (3) comme une relation entre des fins et des moyens rares ayant des usages alternatifs. 2En version originale : “Economics is a science which studies human behaviour as a relationship between ends and scarce means which have alternative uses“. La traduction est de moi, ainsi que le découpage en numéros.

Cette définition (ou ses variantes) est encore aujourd’hui la définition de la science économique la plus utilisée. Pour vous en convaincre, allez jeter un œil (enfin, une oreille) au podcast : je demande à chaque chercheur interviewé sa définition de l’économie, et très souvent la définition qu’il-elle donne est soit directement celle de Robbins, soit une reformulation dont le sens est très proche3Vraiment, j’insiste, ne me croyez pas sur parole, allez écouter ces podcasts !. Elle se retrouve dans de nombreux manuels, et la plupart des étudiants en économie l’ont rencontré au début de leur cursus.

Regardons cette définition de plus près.

Ce que dit (et ne dit pas) la définition principale

Tout d’abord, elle affirme sans ambage en (1) que le projet de la science économique est de constituer une science, c’est-à-dire de faire appel à la méthode scientifique pour construire un ensemble de connaissances sur notre réel.

Ensuite, elle dit en (2) que la science économique est une science humaine, puisque son objet d’étude est « les comportements humains ».

Enfin, et cette dernière partie est peut-être la moins évidente à saisir alors qu’elle est la plus importante, elle dit en (3) que l’objet d’étude de la science économique est nos décisions. Cela mérite quelques explications.

Lorsque Robbins parle de « moyens rares ayant des usages alternatifs« , il fait référence à toute ressource qui existe 1) en quantité limitée et 2) qu’on ne peut utiliser qu’une seule fois. Pensez au temps, à l’argent, à l’énergie, et ainsi de suite. Puisque ces ressources sont limitées et à « usage unique », nous sommes obligés de choisir à quoi les utiliser – puisqu’on ne peut pas les utiliser à l’infini, ni les utiliser plusieurs fois. C’est en cela que l’économie est une science de la décision, puisqu’elle étudie la manière dont les humains font des choix contraints par la rareté des ressources – un article sur la manière dont les économistes modélisent les décisions humaines sera le prochain à être publié.

Le fait que l’objet d’étude soit les décisions humaines est extrêmement important, car il fait sortir la science économique de la seule étude des décisions économiques : dès lors que des humains prennent des décisions (et nous en prenons chaque jour un nombre considérable !), la science économique peut être utilisée pour les étudier. On comprend dès lors pourquoi les économistes s’intéressent à des sujets comme le droit, les risques industriels ou l’environnement.

Une troisième définition : un ensemble d’outils

Une troisième définition que j’entends parfois consiste à dire que la science économique est un ensemble d’outils pour étudier le monde social. Une sorte de boîte à outils méthodologique, en somme. Bien que moins fréquemment utilisée, je trouve cette définition intéressante car elle illustre l’idée que la science économique n’est plus cantonnée à la seule étude de l’économie – et réciproquement, puisqu’il me paraît légitime que les autres sciences sociales aient décidé de l’étudier.

Cette définition me paraît en partie rejoindre celle de Lionel Robbins, à ceci près que souvent, lorsque j’entends des collègues chercheurs utiliser cette définition, les méthodologies dont ils parlent vont au-delà de la seule étude des décisions rationnelles : ils incluent l’économétrie (et parfois l’économie expérimentale) dans cette boîte à outil – chacune de ces méthodologies aura droit à son propre article, ainsi que l’économie théorique.

Une quatrième définition : l’économie comme convention sociale

On pourrait ajouter une quatrième définition de la science économique : la science économique est ce que l’on appelle la science économique.

Bien qu’en apparence un peu triviale, cette définition a le mérite de mettre en évidence deux faits importants :

  1. les frontières exactes des sciences sont parfois floues4Ce caractère flou se retrouve aussi dans les discussions sur la définition de ce que sont les sciences : il n’y a pas une seule manière de faire de la science.
  2. la science est une activité sociale, elle n’existe pas dans un vide de pure intellectualité, et comprendre cette dimension sociale peut (parfois) expliquer certains éléments historiques

Quelle définition préférer ?

Pour ma part, je considère que la définition de Lionel Robbins est à ce jour la définition à préférer de la science économique. Et comme je l’expliquais plus haut, cet avis me paraît faire l’objet d’un (large) consensus parmi les économistes.

Dans le prochain article, on va enfoncer le clou sur cette histoire de décision, en étudiant ce qu’est une décision rationnelle pour un économiste.

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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