[DataPol] Une dernière ligne droite où tout reste possible

Entre la percée de Jean-Luc Mélenchon, la légère baisse d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, il se pourrait que les derniers dix jours avant l’élection voient certains rapports de force politique s’inverser.

Entre la percée de Jean-Luc Mélenchon, la légère baisse d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, il se pourrait que les derniers dix jours avant l’élection voient certains rapports de force politique s’inverser.

Être face à Marine Le Pen pour l’emporter

Pour gagner une élection, l’important est d’être premier dans le scrutin qui compte. Pour l’élection présidentielle française, celui qui compte est le second tour1Alors qu’aux États-Unis, ce qui compte est d’être premier dans le collège électoral des grands électeurs, non au niveau du vote populaire.. Peu importe que ça soit avec une marge énorme comme Jacques Chirac en 2002 (82,21% contre 17,79% pour Jean-Marie Le Pen), ou avec une marge ténue comme Valéry Giscard d’Estaing en 1974 (50,81% contre 49,19% pour François Mitterand).

Pour l’élection de cette année, la singularité vient du fait que Marine Le Pen, dont la qualification pour le second tour semble indiscutable, est incapable de l’emporter. Son positionnement politique très à droite rebute une part trop importante de l’électorat pour espérer une coalition suffisamment large permettant d’emporter au moins 50% des voix. Cela signifie que le candidat qui sera face à elle sera Président de la République. Pour tous ces autres candidats, l’enjeu est donc de faire un score suffisamment élevé au premier tour pour se qualifier pour le second – en sachant qu’il n’y a qu’une place.

Au cours des dernières semaines, les rapports de force tels que mesurés par les sondages étaient assez clairs : ce deuxième candidat serait Emmanuel Macron. Mais depuis une dizaine de jours, il se passe un certain nombre d’évènements qui pourraient rabattre les cartes. Petite revue.

La montée de Jean-Luc Mélenchon (et la chute de Benoît Hamon)

Le premier débat sur TF1 aura manifestement enclenché une dynamique très favorable pour Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a quasiment doublé son score d’intentions de vote, passant d’environ 10-12% aux alentours du 20 mars, à quasiment 18-19% aujourd’hui. Il se hisse désormais à la hauteur de François Fillon, qui remonte légèrement.

Dans le même temps, cette hausse importante de Jean-Luc Mélenchon semble s’être produite au détriment du candidat du Parti Socialiste, Benoît Hamon. Ce dernier a vu son score fondre d’un nombre de point à peu près similaire à ceux gagnés par Jean-Luc Mélenchon, et est désormais autour de 8% d’intentions de vote. Si son score dimanche prochain était du même ordre, ce serait très probablement un désastre pour le Parti Socialiste.

Les deux premiers en perte de vitesse

Alors que Jean-Luc Mélenchon voyait son score fortement augmenter, ceux d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen ont eu tendance à légèrement se tasser. Virtuellement à égalité autour de 25% chacun, ils sont désormais aux alentours de 22-23%. L’écart avec le duo Mélenchon-Fillon reste cependant assez conséquent (entre 4 et 6 points de pourcentage), mais il est à la limite des marges d’erreurs. Surtout, si les scores des deux candidats continuent à baisser, que François Fillon et/ou Jean-Luc Mélenchon continuent à progresser ou non, on pourrait imaginer que le duo de tête ne soit pas nécessairement celui envisagé jusqu’ici – à savoir Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Ce qui pourrait évoluer d’ici le premier tour

Le fait que Jean-Luc Mélenchon ait monté de manière spectaculaire dans les intentions de vote n’implique pas que tout soit possible. Je pense qu’un certain nombre de scénarios sont envisageables, alors que d’autres me paraissent au contraire moins probables.

La montée de Jean-Luc Mélenchon pourrait profiter à… Emmanuel Macron, et saborder François Fillon

Alors qu’il est (disons) désormais envisageable que Jean-Luc Mélenchon se retrouve au second tour, cette éventualité va poser problème à un certain nombre d’électeurs de droite. Il suffit de voir les attaques très violentes du Figaro à l’encontre  de Mélenchon, pour se rendre compte à quel point il est un repoussoir pour la droite (de la même manière que François Fillon est un repoussoir pour la gauche). Et cela pourrait favoriser Emmanuel Macron, qui pourrait bénéficier d’un… vote utile de droite. La logique est suivante : puisque manifestement, François Fillon semble trop loin pour espérer remonter, autant voter pour un candidat certes moins à droite, mais relativement plus à droite que Jean-Luc Mélenchon.

Si cela devait avoir lieu, la hausse de Jean-Luc Mélenchon entrainerait une hausse (toutes choses égales par ailleurs) d’Emmanuel Macron, et une baisse (toutes choses égales par ailleurs) de François Fillon. Si la baisse de François Fillon est importante, on pourrait même imaginer un scénario à la Hamon, où une partie importante des électeurs du centre-droit qui étaient restés fidèles à François Fillon décident de l’abandonner en faveur d’Emmanuel Macron.  C’est pour éviter une telle hémorragie que la droite présente Emmanuel Macron comme « Emmanuel Hollande », en tablant sur le rejet très fort de l’actuel Président de la République au sein de l’électorat de droite. Je ne sais pas si la stratégie fonctionne, mais en tout cas, elle fait sens.

Concernant Jean-Luc Mélenchon, j’ai du mal à imaginer qu’il dépasse la barre des 20%. On voit d’ailleurs que son score se tasse aux alentours de 18-19%. Sa folle remontée, déjà improbable, ne peut pas durer éternellement. Et le fait qu’il ait un discours très à gauche agit comme un repoussoir, aussi bien auprès de la droite que du centre-gauche. Son électorat est aussi moins cristallisé que celui des autres principaux candidats, ce qui veut dire qu’il est possible que Jean-Luc Mélenchon subisse un reflux (même si je n’y crois pas trop).

Qu’est-il arrivé à Marine Le Pen ?

Comme le rappelle avec brio Joël Gombin dans Le Front National, le Front National est depuis l’origine un parti qui se dédiabolise sans cesse. La tentative récente, entamée depuis la prise du parti par Marine Le Pen en 2009, n’est donc que la dernière incarnation d’un processus ayant commencé dès les années 1960.

L’actuelle dédiabolisation est fondée sur la disparition d’un racisme trop prégnant dans les discours et de l’effacement quasiment complet de toute référence antisémite. Même s’il existe une vague populiste puissante dans les pays occidentaux depuis une dizaine d’années, il ne fait pas de doute que le « nouveau discours » du Front National a fortement contribué à son implantation actuelle. Que Marine Le Pen déclare que « la France n’est pas responsable » de la rafle du Vel d’Hiv’ de 1942, entre donc violemment en contradiction avec cette stratégie de dédiabolisation.

Pour Sylvain Crépon, Maître de conférence en sciences politiques à l’université de Tours, Marine Le Pen a fait une « erreur stratégique« . Surtout (c’est moi qui souligne) :

Le Parisien : Cela aura-t-il un impact électoral pour Marine le Pen?

Sylvain Crépon : C’est difficile à évaluer. Elle dispose du socle d’électeur le plus solide. Ces derniers ne devraient pas changer d’avis. Ensuite, ce n’est pas avec une polémique de ce type qu’elle pourra élargir son électorat. Au mieux, cela ne lui fera rien perdre.

En rappelant les discours de son père, nettement plus clivants que ceux qu’elle utilise actuellement pour une grande partie de l’électorat français, Marine Le Pen se condamne à une sorte de « plafond de verre »2Auquel elle semblait de toute façon confrontée. Disons qu’il est désormais un peu moins haut.. Si elle parvient à se qualifier pour le second tour, il se peut donc que son score du second tour soit plutôt dans la fourchette basse des estimations (même s’il faudra en reparler le moment venu). Surtout, si son score est surestimé dans les intentions de vote (je publierai un article sur le sujet lundi à 16h) et qu’elle tourne plutôt autour de 20% que 25%, je pense qu’il n’est plus improbable que Marine Le Pen… ne soit pas au second tour ! Je ne dis pas que cela va arriver. Je dis que c’est une possibilité plus probable aujourd’hui qu’il y a une semaine ou deux.

Si elle ne se qualifiait pas pour le second tour (ce qui serait une énorme surprise, et un camouflet pour le Front National), on aurait alors un second tour qui serait très probablement Emmanuel Macron contre François Fillon ou Emmanuel Macron contre Jean-Luc Mélenchon. Compte tenu du positionnement centriste d’Emmanuel Macron, je pense qu’il l’emportera dans toutes les configurations, probablement de manière assez large d’ailleurs.

Comme pour Donald Trump, un ultime sursaut en faveur de François Fillon ?

Concernant François Fillon, la campagne de ce dernier essaie de défendre l’idée d’un « vote caché » en sa faveur qui ne serait pas mesuré dans les sondages. Je n’y crois pas trop. Par contre, je crois qu’il est possible que des électeurs de droite se décident dans la dernière ligne – impossible pour eux de voter pour Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. La difficulté de ce phénomène est qu’il est très dur à mesurer dans les sondages.

Lorsqu’un sondage est publié, l’enquête de terrain pour récolter les données a en général été faite un ou deux jours avant la date de publication. Si l’on prend le dernier sondage d’Ipsos (ID 8379 dans la base de données), il a été publié le 4 avril, mais l’enquête a été faite entre le 31 mars et le 2 avril. Ce qu’on mesure est donc l’état de l’opinion entre ces deux dates. La loi française interdisant de publier des sondages lors du week-end du scrutin, cela signifie que les sondages publiés le vendredi 21 avril mesureront en réalité les intentions de vote du mardi au jeudi (par exemple). Or, si les électeurs changent d’avis… le vendredi, le samedi, ou même se décident le dernier jour dans l’isoloir, les sondages sont totalement incapables de le mesurer. Il faut donc être prudent, et intégrer cette éventualité lorsque l’on interprète les résultats d’un sondage3Accessoirement, c’est aussi pour cette raison que les sondages ne sont pas des instruments de prédiction. On ne le répétera jamais assez, mais mesurer ce qu’il se passe en t ne permet pas toujours de bien prévoir ce qu’il se passera en t+1..

Cet effet de décision au dernier moment existe. Je n’arrive pas à retrouver la référence exacte, mais dans un épisode du podcast de FiftyThirtyEight (en anglais, l’épisode en question devant être de janvier ou février), il était fait mention qu’entre 3 et 5% des électeurs se sont décidés en faveur de Donald Trump dans les derniers jours. 3 à 5%, cela peut sembler peu, mais dans une élection serrée, c’est (largement) suffisant pour faire pencher la balance dans un sens – ou dans un autre.

Est-ce que François Fillon peut profiter d’un tel effet ? Sans aucun doute. Mais ce qui pourrait l’oblitérer est un fort vote utile de droite, dont je parlais plus haut. Dans ce cas, cette levée de l’indécision pour un certain nombre d’électeurs profiterait non pas à François Fillon mais à… Emmanuel Macron, au moins partiellement. Une fois encore, il faut donc rester (très) prudent.

Dans tous les cas, et compte tenu des sondages et des dernières tendances, je continue à penser qu’Emmanuel Macron est toujours le favori de cette élection. Je réactualiserai peut-être cet avis vendredi prochain, pour le dernier article de DataPol sur le premier tour.

Illustration : les 11 candidats à l’élection présidentielle avant le débat sur BFM TV et CNews (LCI).

MAJ 18 avril 2017 20h27 : correction d’une donnée mal interprétée sur l’électorat de Donald Trump.

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Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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