[DataPol] Et si Marine Le Pen n’était pas au second tour ?

Le fait que Marine Le Pen soit qualifiée pour le second tour semble acquis. Pourtant, vu les écarts dans les sondages entre les principaux candidats, une vraie incertitude existe. Creusons la question.

Le fait que Marine Le Pen soit qualifiée pour le second tour semble acquis. Pourtant, vu les écarts dans les sondages entre les principaux candidats, une vraie incertitude existe. Creusons la question.

Les sondages agrégées par DataPol ont également été mis à jour !

Une défiance parfois excessive face aux sondages

La défiance vis-à-vis des sondages est ancienne. Sans dire que cet évènement en constitue le point de départ, il ne fait aucun doute que l’élection présidentielle de 2002 a fortement contribué à cette défiance.

Avant cela, une précision, que je fais à chaque fois mais qu’il paraît nécessaire de répéter encore et encore : je ne considère pas les sondages comme des outils permettant de prédire le résultat d’une élection. En France, il est interdit de publier des sondages lors du week-end de l’élection. Les derniers sondages publiés le sont donc le vendredi. Or, pour qu’un sondage soit publié un vendredi, cela implique que l’enquête a été menée entre un à trois jours avant. Ce qui est publié vendredi est donc l’état de l’opinion tel que mesuré plusieurs jours avant. Et dans la mesure où de conséquents mouvements d’opinion peuvent avoir lieu dans la dernière ligne droite, je ne comprend pas comment on peut défendre l’idée qu’un sondage soit en tant que tel un instrument de prédiction.

Cependant, si les sondages ne sont pas eux-mêmes des instruments de prédiction, cela ne signifie pas qu’il est impossible de les utiliser pour faire des prédictions. Mais l’exercice est tout autre, puisque dans ce cas, les sondages sont utilisés comme un élément de réflexion dans un cadre plus large. Car ce que mesurent les sondages est l’état des rapports de force politique entre les différents candidats, pas autre chose.

Revenons-en à 2002. Comme le montrent ces sondages, il s’est passé cette année-là deux problèmes :

  1. Le poids politique de Jean-Marie Le Pen a été sous-estimé, d’environ 3 à 4 points de pourcentage par les sondages
  2. Le poids politique de Lionel Jospin a été sur-estimé, sensiblement d’autant, par ces mêmes sondages

De fait, les sondages, en rapportant des poids politiques finalement assez différents de ceux observés le jour de l’élection, ont empêché les commentateurs d’envisager la possibilité que Jean-Marie Le Pen puisse être au second tour. Ce qui a d’ailleurs été rendu possible non pas tant par son score important, que par la conjonction de ce score important et d’un score somme toute modeste de Lionel Jospin. De fait, la réflexion politique n’a pas pu se faire correctement, puisque les sondages semblaient pointer dans une direction assez claire.

Pour ces raisons, je suis d’accord pour dire qu’en 2002, les sondages ont été mis en échec.

Cependant, 2002 n’est pas la seule référence que l’on entend à de supposées « erreurs » des sondages. Récemment, le référendum sur le Brexit, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et la victoire de François Fillon lors de la primaire de la droite ont été utilisés comme de nouvelles « preuves » que décidément, les sondages ne seraient pas fiables. Mais si l’on regarde en détail ces trois cas, on se rend compte que la réalité est plus nuancée.

Pour ce qui est du Brexit, comme l’illustre ce graphique tiré de Wikipédia, l’écart dans les sondages entre le Remain (pas de Brexit) et le Leave (Brexit) était très faible, souvent en-dessous de la marge d’erreur. On observe également une remontée du Leave dans la dernière ligne (concomitante avec la levée de l’indécision d’un certain nombre d’électeurs), laissant penser que ce dernier était loin d’être improbable. Dire que les sondages « ne l’ont pas vu venir » est à mon avis plutôt faux.

Sondages pour le référendum du Brexit
Sondages pour le référendum du Brexit. Crédit : Wikimédia

Concernant l’élection de Donald Trump, j’en ai déjà parlé lors du live Facebook juste après l’élection, mais ce qu’il s’est passé n’a pas tant été un échec des sondages à rendre compte des rapports de force (en réalité, ils étaient plus proche du résultat final en 2016 qu’en… 2012 !), qu’une incapacité des commentateurs de ces mêmes sondages à les interpréter correctement. Dans beaucoup d’États, l’écart entre Hillary Clinton et Donald Trump était très faible, c’est-à-dire dans la marge d’erreur (ce que personnellement j’interprète comme étant « on ne sait pas »). Et je me suis toujours étonné que ces écarts pourtant faibles semblaient donner à certains le droit de dire que tel État allait presque « nécessairement » être gagné par Hillary Clinton (la théorie du fameux blue wall qui, sans mauvais jeu de mot, s’est effondrée suite à l’élection de Donald Trump).

J’ai le sentiment qu’il y a surtout eu une volonté de ne pas voir, plus qu’un échec véritable des sondages à mesurer correctement les rapports de force entre les différents candidats. Sur la base de ces sondages, FiveThirtyEight avait notamment estimé que Donald Trump avait environ une chance sur trois de l’emporter. Cela peut paraître faible, mais si l’on représente cette probabilité comme un nombre de places dans une salle de concerts, on réalise assez vite qu’une chance sur trois est loin d’être improbable…

Représentation graphique d'une probabilité d'occurrence de 28,6% d'un évènement
Représentation graphique d’une probabilité d’occurrence de 28,6% d’un évènement © Olivier Simard-Casanova/The Signal

Enfin, pour ce qui est de la victoire de François Fillon à la primaire de la droite, j’ai déjà publié un article sur la question. On peut notamment voir que dans la dernière ligne droite, les sondages ont plutôt vu le score de François Fillon exploser (sans pour autant prédire parfaitement sa victoire, mais je pense qu’il s’agissait d’un cas presque d’école de la situation où une partie importante de l’électorat se décide dans les derniers jours, donc à un moment où les instituts de sondages ne font plus de mesures).

Il faut aussi noter qu’il s’agissait de la première primaire ouverte à droite, auquel cas il existait une forte incertitude des instituts sur la manière de corriger les scores mesurés. Pour une première fois, je trouve que ces derniers ont fait des mesures plutôt correctes.

Pour résumer, à part en 2002 où l’échec des instituts de sondage à rendre compte des rapports de force politique était patent, les autres cas souvent cités en exemple sont bien loin d’être aussi négatifs qu’on le prétend. En particulier, je pense que souvent, « l’échec des sondages » n’est pas tant l’échec des mesures que l’échec de l’interprétation de ces mesures par les commentateurs. C’est notamment clair pour le Brexit et l’élection de Donald Trump. On pourrait même aller jusqu’à dire que si les commentateurs avaient vraiment été attentifs à ces sondages, ils auraient été plus prudents, et la surprise aurait été moins nette. C’est presque donc un manque de considération pour les sondages qui semble expliquer ce sentiment (infondé) d’échec quant aux sondage, ce qui est un joli paradoxe !

Le cas spécifique du Front National et des sondages

Alors oui, j’ai conscience qu’avec cet article je vais très largement à contre-courant. Notez d’ailleurs que je ne dis pas que le Front National ne sera pas au second tour ; je dis simplement que c’est possible, et que pour cette raison il est important de considérer cette possibilité.

Tout d’abord, et vous l’aurez compris, les sondages ne sont pas si mauvais que ça. De fait, et même s’il faut bien évidemment rester prudent, rejeter en bloc leurs enseignements me paraît trop extrême. Et que disent les sondages quant à cette élection ?

De manière simple, que cette dernière sera serrée. Et très incertaine. Ils nous disent aussi que Marine Le Pen est en perte de vitesse, et que François Fillon est en (légère) croissance.

Mais ça n’est pas tout. Car les sondages, c’est une chose, mais l’antienne selon laquelle le score du Front National y serait sous-estimé est assez régulièrement répétée (souvent, d’ailleurs, en se basant sur les exemples dont j’ai démontré plus haut qu’ils n’étaient pas des échecs des sondages). Il y a cependant-là, me semble-t-il, un léger biais de confirmation : on aime voir les cas où le score du Front National (ou des partis du même type) auraient été sous-estimé, mais on oublie de regarder les cas où… le poids réel du Front National a été surestimé ! C’est par exemple arrivé lors des élections régionales de 2015

De fait, défendre l’idée que le poids politique du Front National serait nécessairement sous-estimé dans les sondages est à mon avis assez difficile, en tout cas avec les arguments habituels.

Pourquoi il est possible que Marine Le Pen ne soit pas au second tour

Pour simplifier, deux cas de figure rendent possible la non-présence d’un candidat au second tour :

  • le score de l’un de ses adversaires est plus élevé que prévu
  • son score est plus faible que prévu

Pour ce qui est du premier point, je l’ai déjà dit et n’ai pas changé d’avis sur la question, je pense qu’il est très probable que François Fillon bénéficiera d’un sursaut dans la dernière ligne droite. Malgré tout, la droite se rassemble finalement autour de lui, comme le suggère la vidéo de soutien de Nicolas Sarkozy et la participation d’Alain Juppé à l’un de ses meetings à Paris. Je ne suis pas sûr que cela fonctionnera avec le centre-droit, mais j’ai tendance à penser que François Fillon fera un score assez supérieur aux 17-19% qui a été mesuré dans les enquêtes d’opinion jusqu’ici1Et qu’on ne vienne pas me dire que cette histoire prouverait que les sondages « se trompent ». Si l’enquête est faite mercredi, et que l’électorat se décide massivement vendredi, il est normal que cela échappe aux instituts de sondage, puisque l’évènement a lieu après la mesure…. Sa croissance récente dans les sondages semble continuer.

Quant à Emmanuel Macron, j’ai tendance à penser qu’il bénéficiera d’un fort vote utile de gauche, venant principalement de l’électorat de Benoît Hamon (dont je pense qu’il y a de fortes chances qu’il s’effondre d’ici le premier tour). Un (plus modeste) vote utile de droite pour contrer Jean-Luc Mélenchon pourrait aussi lui bénéficier. Dans tous les cas, il remonte (ou stagne) dans un certain nombre d’enquêtes, en tout cas sa baisse récente semble terminée.

Pour ce qui est du second point, il est à noter que Marine Le Pen marque (parfois nettement) le pas. Elle continue à baisser, sinon à se stabiliser. Un certain nombre d’analyses suggèrent que sa récente sortie sur le Vel’ d’Hiv l’empêchera d’élargir son score au-delà de sa seule base. Certains commentateurs pensent d’ailleurs que sa campagne est tout simplement ratée, notamment parce que les affaires semblent la rattraper et avoir fait fondre son soutien dans l’opinion public. La remontée de François Fillon, qui plus est par le biais d’une campagne très à droite concurrençant directement Marine Le Pen, pourrait aussi expliquer ce reflux de Marine Le Pen.

Avec beaucoup de prudence, j’ai estimé dans mon précédent article sur DataPol que le scénario qui m’apparaît comme le plus probable au soir du premier tour est le suivant :

  • Emmanuel Macron est en tête, suivi de François Fillon
  • Marine Le Pen ne se qualifie pas
  • Jean-Luc Mélenchon stagne autour de 19-20%

J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’un scénario possible, que ces « prédictions » ne sont pas scientifiques (car basées sur mes intuitions). Je pense que ce scénario est le plus probable, mais « le plus probable » n’est pas synonyme de « va nécessairement arriver ». Je ferai de toute façon un débriefing de ces prédictions à l’issue du premier tour.

Et si Marine Le Pen n’était pas qualifiée ?

S’il s’avère que Marine Le Pen ne se qualifiait pas pour le second tour, ça serait, sans aucun doute, un coup de tonnerre dans le pays politique français, européen voire occidental (compte tenu de l’important traitement médiatique dont l’élection fait l’objet à l’étranger, y compris aux États-Unis). Cela constituerait un nouveau coup d’arrêt face à la vague populiste qui a porté aussi bien le Brexit que l’élection de Donald Trump, après l’élection présidentielle autrichienne et les législatives hollandaises. Plus localement, cela fragiliserait aussi la position de Marine Le Pen et de ses équipes (notamment Florian Philippot) au sein du Front National.

Concernant le second tour, les enquêtes d’opinion testant l’hypothèse Macron-Fillon laissent à penser qu’Emmanuel Macron l’emporterait largement sur François Fillon (peut-être même plus largement encore que si Emmanuel Macron faisait face à… Marine Le Pen !). Comme Marine Le Pen, qui s’est aliénée une grande partie de l’électorat du fait de son positionnement idéologique, je pense que François Fillon s’est aussi aliéné une grande partie de l’électorat du fait de la manière dont il a réagit aux affaires le concernant. Pour le dire autrement, au-delà d’une partie de la droite, il aura du mal à mobiliser.

Si Marine Le Pen est éliminée et que le second tour se joue entre Emmanuel Macron et François Fillon, il y a toutes les raisons de penser qu’Emmanuel Macron sera élu Président de la République.

Je mettrai à jour les sondages de DataPol une dernière fois vendredi, et je publierai également un article, ou tiendrait un live vidéo sur Facebook (ou peut-être les deux ?). Notez également que le soir du premier tour, à partir de 19h45 je tiendrai un Direct sur DataPol, pour commenter avec vous les résultats du premier tour.

À vendredi !

Illustration : crédit AFP.

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Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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