Vous aussi « aberkanisez » votre CV ! #playItLikeAberkane

Idriss Aberkane fait actuellement la une de la presse. Il est présenté comme un chercheur brillant, CV à l’appui. Sauf que si j’écrivais mon CV comme lui écrit le sien, je serais moi aussi brillantissime.

Peut-être avez-vous eu vent de cet article dans Le Monde ou de la une récente du Point (numéro 2299), à propos d’un « chercheur » en neurosciences supposément brillant, Idriss Aberkane. Le problème ? Ce garçon a outrageusement exagéré son CV, en violant l’esprit des usages scientifiques.

Pour vous montrer en quoi sa démarche est malhonnête, je vais « aberkaniser » mon CV. L’idée est de montrer à quoi ressemblerait mon CV en lui appliquant le même traitement qu’Aberkane applique au sien.

Le problème

Premier point : pourquoi la présentation qu’Aberkane fait de son expérience scientifique est manifestement malhonnête ? Le pot-aux-roses a été levé par Mathieu Leocmach, physicien au CNRS dans cette (longue) publication Facebook. C’est en partant de cette publication (et suite à un échange avec Romain) que l’idée du présent article m’est venue.

Le CV d’Aberkane contre le mien

Faisons maintenant les présentations. Voici le CV d’Idriss Aberkane. Par précaution, j’en ai fait une impression PDF datant du 26 octobre 2016 ; c’est d’ailleurs cette impression PDF qui va me servir de référence.

Ensuite, voici mon propre CV, lui aussi en PDF. Il s’agit de la version la plus récente au moment où je rédige cet article (elle date du 20 août 2016).

Tout le monde n’étant pas rodé dans l’art (parfois subtil) de la lecture de CV académique (surtout lorsqu’ils sont en anglais), voici comment je me présente habituellement face au grand public :

Olivier Simard-Casanova, doctorant au Bureau d’Économie Théorique et Appliqué (BETA) et chargé de cours à l’École des Mines de Nancy.

D’autres chercheurs pourront à mon avis aisément confirmer que je décris correctement ma position actuelle.

Avant de nous intéresser au fond, un petit détour sur la forme de nos deux CV respectifs interpelle : comparez la clarté, l’organisation et la hiérarchisation de mon CV avec celui d’Idriss Aberkane. Cela ne prouve bien évidemment rien, mais on peut se dire que si quelqu’un voulait flouer le public, accumuler des puces dans une liste pour « faire impressionnant » n’est pas la plus idiote des stratégies.

Une version « aberkanisée » de mon propre CV

Maintenant, pour vous montrer la malhonnêteté de la présentation d’Idriss Aberkane, je vais réécrire mon CV de manière similaire à ce que lui a fait avec le sien – et en vous expliquant le ressort que j’utilise pour procéder aux différentes réécritures. Il s’agit bien évidemment d’un exercice pour partie humoristique, néanmoins le genre d’exagération dont il se rend coupable révèle à mon avis un grave manque d’éthique scientifique – car oui, l’honnêteté n’est rien de moins qu’au cœur de la démarche scientifique…

Libérez votre cerveau
Ah oui ! Ce monsieur vend un livre. Est-ce pour cela qu’il en rajoute un tantinet ?

Remarque préalable : je ne prétends pas qu’Idriss Aberkane se rend coupable de toutes les exagérations que je fais plus bas. Même si dans l’esprit, bon…

Principe :

  1. Version correcte
  2. Version exagérée
  3. D’où vient l’exagération ?
Doctorant au BETA
  1. Doctorant au BETA
  2. Doctorant à l’Université de Strasbourg, à l’Université de Lorraine et au CNRS
  3. Mon laboratoire d’appartenance, le BETA, dépend de ces trois structures. Pourtant, je suis inscrit à l’École Doctorale Augustin Cournot, qui dépend uniquement de l’Université de Strasbourg
Licence Économie-Sociologie de l'Université de Toulouse 1
  1. Licence Économie-Sociologie de l’Université de Toulouse 1
  2. Diplômé de la Toulouse School of Economics, dont le président a reçu un Prix Nobel d’économie en 2014 (Jean Tirole)
  3. Si j’étais aujourd’hui étudiant de licence dans les mêmes conditions à l’Université Toulouse 1, j’aurais bien une licence de TSE. Or, au moment où j’ai obtenu cette licence (en 2008), TSE n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Par ailleurs « diplômé » est plus vague que « licence », qui est un diplôme de niveau bac+3 (alors que « diplômé », on ne sait pas). Enfin, la mention de Jean Tirole est inutile, car quand bien même il aurait été mon enseignant (ce qui n’est pas le cas), ça n’a guère de sens de mettre ses professeurs en avant.
Chargé de cours (ATER) à l'École des Mines de Nancy
  1. Chargé de cours (ATER) à l’École des Mines de Nancy
  2. Enseignant-chercheur à Mines Nancy et à l’Université de Lorraine
  3. Techniquement, je suis effectivement enseignant à Mines Nancy. Mais je ne suis pas enseignant permanent (j’ai un contrat d’un an qui a été renouvelé une fois). Par ailleurs, Mines Nancy étant une école d’ingénieur de l’Université de Lorraine, je suis effectivement enseignant (non permanent) à l’Université de Lorraine. Toutefois, l’usage est plutôt, me semble-t-il, de ne donner qu’une seule affiliation : soit l’école (ou la fac), soit l’université, mais pas les deux.
Séjour de recherche de trois mois à l'Université de Constance (Allemagne)
  1. Séjour de recherche de trois mois à l’Université de Constance (Allemagne)
  2. Chercheur associé à l’Université de Constance
  3. J’ai passé trois mois à Constance au printemps 2013, dans le cadre d’un séjour de recherche. J’ai (modestement) participé à la vie scientifique du département d’économie de cette université – j’ai même eu une adresse email officielle de l’université pendant toute la durée de mon séjour ! Toutefois, je n’ai jamais été chercheur associé, j’ai seulement partagé un bureau pendant trois mois. À noter que contrairement à des titres comme « professeur des universités », « chercheur associé » n’est justement pas un titre et il règne à son endroit un certain flou (mais c’est justement pour cette flexibilité que ce « statut » existe).
Ancien chargé de cours à la faculté d'économie et de gestion de Strasbourg
  1. Ancien chargé de cours à la faculté d’économie et de gestion de Strasbourg
  2. Enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg
  3. J’ai été chargé de TD/cours à la fac d’éco de Strasbourg, de 2012 à 2015. Cela n’est donc plus le cas. Il est d’usage de ne pas continuer à utiliser des affiliations passées.
Stagiaire au BETA
  1. Stagiaire au BETA
  2. Interne au CNRS
  3. Lors de mon Master 2 (la dernière année d’étude avant le doctorat, niveau bac +5), j’ai fait mon stage de recherche au BETA (le même laboratoire où je suis aujourd’hui doctorant). J’y étais donc stagiaire. Idriss Aberkane dit qu’il a été « interne » au département de psychologie expérimentale de la Cambridge University. Sauf que « stagiaire », en anglais, ça se dit… « intern ». Voilà…
École d'été en sciences sociales de l'Université d'Olso
  1. École d’été en sciences sociales de l’Université d’Olso
  2. Chercheur associé à l’Université d’Oslo
  3. Dans un CV académique, tout ne se vaut pas. Avoir été stagiaire pendant quelques semaines ou mois dans une institution quelconque ne vous donne pas le même degré de « proximité » que si vous avez été étudiant-e ou chercheur-se au sein de cette même affiliation (c’est pareil dans le cadre d’un séjour de recherche). J’ai effectivement participé à l’été 2014 à une école d’été à l’Université d’Oslo, en Norvège, mais elle n’a duré qu’une semaine, et comme son nom l’indique, j’y ai surtout suivi des cours (et découvert un pays magnifique). Sur le CV d’Idriss Aberkane, cette hiérarchisation n’est pas du tout claire, ce qui induit le lecteur non averti à faire des confusions.

En résumé, voici le avant/après :

  • Avant : Doctorant au Bureau d’Économie Théorique et Appliqué (BETA) et chargé de cours à l’École des Mines de Nancy
  • Après : Doctorant à l’Université de Strasbourg, à l’Université de Lorraine et au CNRS, Diplômé de la Toulouse School of Economics, Chercheur associé à l’Université de Constance, Enseignant-chercheur à Mines Nancy et à l’Université de Lorraine, Enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg, Interne au CNRS, Chercheur associé à l’Université d’Oslo

Franchement, l’après est spectaculaire ! De bon matin, mon ego adore – et probablement les ventes de mon livre-que-je-n’ai-pas-écrit. Sauf que c’est exactement le même CV. Et le même parcours…

Vous aussi, « aberkanisez » votre CV sans peine !

Si vous êtes chercheur ou doctorant et que vous avez envie de vous amuser un peu, n’hésitez pas à « aberkaniser » votre CV – dans les commentaires ici ou ailleurs ! Amusez-vous aussi sur les réseaux sociaux avec le hashtag #playItLikeAberkane, que l’on puisse retrouver vos publications.

Une dernière chose : cela ne vaut pas preuve, mais il y a déjà deux personnes qui rapportent qu’Idriss Aberkane bloque celles et ceux qui auraient tendance à le critiquer sur Twitter : l’utilisateur dont le pseudo est « septique » dans son commentaire du 25 octobre sur l’article du Monde et Léo Grasset (Dirty Biology) sur sa page Facebook. Si cet article tourne un peu, j’ai hâte de voir sa réaction !

MAJ 28 octobre 2016 : quelques modifications de style, une précision sur pourquoi la fraude sur le CV est inacceptable en sciences, j’ai transformé mon passage à l’Université d’Oslo en « chercheur associé » et j’ai explicitement fait référence au fait que je me base sur la version PDF de son CV et non sur son site (qui peut être mis à jour de manière discrète).

MAJ 21 décembre 2016 : quelques modifications de forme pour faire coller l’article au ton de The Signal, un peu différent de celui de Passeur d’Éco. Le titre a également été raccourci.

MAJ 24 décembre 2016 : changement dans la présentation des différents éléments de mon CV, pour améliorer la lisibilité. Quelques changements de forme mineurs.

MAJ 20 janvier 2017 : nouvelle modification (partielle) de la forme de l’article.

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

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Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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