Faire de la recherche en économie, en quoi ça consiste ?

Dans mon précédent article sur le doctorat, je l’achevais en disant quelques mots sur la recherche en économie. Car autant on voit bien ce qu’est la recherche scientifique en physique ou en biologie, autant “en économie” c’est déjà plus compliqué… Et pourtant ! Qu’est-ce qui nous empêcherait d’appliquer la méthode scientifique à l’étude des comportements humains (et a fortiori économiques), là où on arrive très bien à le faire en chimie, en mécanique et ailleurs ?

L’économie, une mal aimée (sortez vos violons)

Décembre 2015, dans un amphithéâtre de l’Université de Lorraine à Nancy :

  • Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
  • Je suis doctorant, en économie. Et toi ?
  • Je suis étudiant en médecine. Tu es sur Nancy ?
  • Oui, je fais ma thèse dans un laboratoire qui s’appelle le BETA. C’est un partenariat entre l’Université de Strasbourg, l’Université de Lorraine et le CNRS.
  • Le CNRS ? Je croyais qu’il ne faisait que de la recherche scientifique…

Ce petit dialogue, que j’ai réellement vécu (et qui s’est terminé un peu abruptement…), résume à mon avis assez bien l’incompréhension que suscitent les sciences autres que celles, disons, de la “nature” dans les esprits. Cela paraît bien difficile d’imaginer que l’on puisse faire de la “recherche scientifique” à propos d’un truc comme l’économie…

Pourtant, quand on y réfléchit un instant, est-ce vraiment si délirant ? Qu’est-ce qui nous empêcherait d’étudier avec les principes de la méthode scientifique un objet comme l’économie ? Ou, en fait, n’importe quel objet ?

Souvent, quand on entend “science” on s’imagine blouse blanche et paillasses. Mais la science se limite-t-elle à ces clichés ? La réponse est certainement non, car avant tout, la science est l’utilisation d’une méthode intellectuelle : la méthode scientifique.

Ce que font les économistes

Même si je sais que certains d’entre vous sont encore dubitatifs, regardons tout de même comment travaillent les économistes, ce qu’ils font au quotidien. De manière un peu schématique, l’économiste de 2016 dispose de trois grandes méthodes de travail dans sa boîte à outils :

  • L’économie théorique
  • L’économétrie, qui est l’usage de méthodes statistiques pour essayer de “faire parler” un certain nombre de données empiriques
  • L’économie expérimentale

Le classement que j’ai opéré dans ma liste n’est pas anodin, car il est en réalité chronologique : on a d’abord disposé d’outils théoriques, puis est venue s’ajouter l’économétrie et enfin, depuis les années 1970, on sait faire des expérimentations.

L’économie théorique

L’économie théorique s’est constituée à partir de la fin du XIXème siècle, principalement en Europe. Fortement mathématisée, elle consiste en la mise en systèmes d’équations plus ou moins compliqués de situations plus ou moins réelles. Le plus souvent, les économistes cherchent, dans ces modèles, les conditions pour qu’ils soient à l’équilibre.

La théorie de l'équilibre générale est l'un des résultats les plus fondamentaux de la science économique © Olivier Simard-Casanova
La théorie de l’équilibre générale est l’un des résultats les plus fondamentaux de la science économique © Olivier Simard-Casanova

Ces modèles, comme tous les modèles (à comprendre dans le sens de 100% de tous les modèles qui ont jamais été produits dans toutes les disciplines scientifiques), sont des simplifications de la réalité. On peut voir un modèle comme une carte topographique : plus l’échelle est petite, plus la carte montre beaucoup de choses, mais moins elle est précise. Mais une carte à l’échelle 1, ça n’est pas une carte, c’est le monde réel – et ça n’a aucun intérêt comme carte.

Il faut donc toujours être extrêmement prudent quand on interprète les résultats de ces modèles : d’un côté il faut se garder de surinterpréter ce qu’ils en disent, mais de l’autre il faut tout autant éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain au prétexte que ces modèles ne seraient pas “réalistes”. Parce qu’un modèle réaliste, comme je l’écrivais juste avant, c’est une carte à l’échelle 1 – donc ça n’est pas une carte.

L’économétrie

Toutefois, écrire des modèles qui donnent des prédictions ne suffit pas à faire science. Il faut ensuite vérifier si ces prédictions sont observées “dans la réalité”. C’est pour cette raison qu’à partir des années 1930 a commencé à se développer l’économétrie, dont l’objectif initial était explicitement de tester les prédictions théoriques.

Habituellement, en sciences, l’usage des statistiques pour étudier des données réelles s’oriente vers la recherche de corrélations : la variable x varie dans le même sens/en sens inverse que la variable y, et avec telle intensité. L’économétrie a une petite particularité, en ce sens qu’elle essaie d’aller “plus loin” : on cherche plutôt des causalités. L’économètre va ainsi plutôt à chercher si la variation de x est causée par y, ou par autre chose qu’il n’observe pas.

Avec le développement récent de l’informatique, la pratique de l’économétrie est devenue extrêmement courante, aussi bien parce qu’il est facile de récolter des données que de les traiter.

L’économie expérimentale

Enfin, depuis les années 1970, les économistes savent aussi faire des expériences de laboratoire. Elles sont assez proches de celles qui sont menées en psychologie, avec toutefois un certain nombre de différences :

  • Les sujets qui participent à l’expérience doivent savoir qu’ils participent à une expérience. Il n’est pas possible de leur “mentir”
  • Les sujets reçoivent un paiement à la fin de l’expérience

Le principe de ces expériences est de faire prendre un certain nombre de décisions aux sujets (souvent des étudiants), sujets qui sont payés en fonction de leurs décisions (pour les inciter à “dire la vérité” – à jouer “comme si” l’expérience était la vraie vie). De nos jours, les expériences sont principalement informatisées. Cela simplifie la logistique, et surtout la collecte des données ainsi que leur étude (souvent grâce aux outils de… l’économétrie bien sûr !).

Laboratoire d'Économie Expérimentale de Strasbourg © BETA
Laboratoire d’Économie Expérimentale de Strasbourg © BETA

La raison pour laquelle les économistes ont développé une méthode expérimentale est assez simple à comprendre : là où l’économètre doit souvent utiliser une base de données qu’il n’a pas construite lui-même (fichiers fiscaux de l’État, fichiers commerciaux d’une entreprise, etc.), la méthode expérimentale lui donne beaucoup plus de contrôle sur ce que contiennent réellement ses données. Cela peut sembler anecdotique, mais quand vous travaillez avec une base de données qui n’a pas été conçue dans un but scientifique, ça n’est pas toujours simple d’avoir des données “propres”. L’économie expérimentale répond en partie à ce problème – même si elle en pose aussi d’autres, comme le fait de savoir si ce que l’on observe en laboratoire est la même chose que ce qu’il se passe dehors.

Bientôt un quatrième outil ?

Enfin, un quatrième outil est en train de se développer : les simulations informatiques. Elles portent le doux nom d’agent based models (il n’existe pas de traduction française à ma connaissance), et l’idée est de simuler des économies, des entreprises, etc. où une multitude d’agents souvent assez simples interagissent pendant un certain nombre de périodes. Je travaille moi-même sur le développement de ce type d’outil, toutefois il est encore un peu jeune et ne peut pas (encore ?) prétendre à devenir la quatrième puce sur ma liste de départ.

Peut-on croire les résultats des économistes ?

Dans l’ensemble, les économistes ont donc trois grandes classes d’outils pour mener leurs recherches (plus une quatrième qui pointe le bout de son nez avec les simulations informatiques). Celles-ci portent sur des domaines extrêmement variés comme la consommation, les dépenses publiques, la santé, la criminalité, le droit, ce qui explique qu’il y a, dans le monde, des milliers d’économistes qui font de la recherche. Toutefois, est-ce que les résultats obtenus par toutes ces méthodes sont vraiment fiables ? Et que disent-ils réellement de nos économies ? Je répondrai à ces questions dans un futur article !


Cet article introduit une nouvelle série d’articles sur le thème “Science et économie”.

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

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Bonjour, c'est Olivier – alias L'Économiste Sceptique 🙂

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