Chapitre 5 – La Valeur

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Comment se forment les prix ? Ceux-ci étant la donnée économique la plus courante et la plus facilement observable, chercher à comprendre leur formation est une question assez naturelle lorsque l’on étudie l’économie.

Pour répondre à cette question, il est toutefois nécessaire de d’abord se demander de ce qui donne leur valeur aux choses : dans le langage courant, prix et valeur sont très souvent confondus, mais a-t-on vraiment raison de les utiliser comme synonymes ? N’y a-t-il pas un intérêt à les dissocier ? Regardons ce que les économistes ont à nous dire sur cette question.

Adam Smith
« Modern economics? Yeah, I did this during a lazzy sunday. Was fun. » © Droits réservés

Intuitivement, lorsque l’on réfléchit à la valeur, l’on est tenté de partir en quête d’une mesure « objective », mesurable, de cette dernière. Les physiocrates, au XVIIIème siècle, ont ainsi proposé que c’était de la terre et de son exploitation que celle-ci découlait. Puis, constatant l’étroitesse de cette définition (quid de l’industrie ?), les premiers économistes modernes, dit « classiques », ont postulé que la valeur des choses venait plutôt de la quantité de travail nécessaire à leur production : c’est ce que l’on nomme la valeur-travail. Adam Smith a été le premier à proposer cette idée, en 1776, et il a ensuite été suivi par des noms aussi illustres que David Ricardo, Thomas Malthus et Karl Marx.

Toutefois, cette quête d’une mesure objective de la valeur se heurte à un paradoxe, le paradoxe de la valeur (#imaginationIsOverrated) : vous voilà en train de randonner en plein cœur de l’Australie quand, tout à coup, votre pied bute sur une sorte de pierre brillante. Intrigué(e), vous vous penchez et vous remarquez que c’est… un diamant. Dont vous êtes désormais l’heureux propriétaire. Combien de travail vous aura-t-il fallu pour « produire » ce diamant ? Zéro ! Puisque vous l’avez trouvé complètement par hasard. D’après la valeur-travail, celui-ci ne devrait donc pas avoir beaucoup de valeur. Cependant, si vous allez toquer à la porte d’un négociant à Anvers, il y a de fortes chances pour que vous repartiez avec une belle liasse de billets dans votre portefeuille… Comment résoudre cette énigme ?

À la fin du XIXème siècle, les économistes dit « néoclassiques » vont proposer une solution, tellement féconde qu’elle est aujourd’hui encore au cœur de la science économique : à la valeur-travail, ils vont préférer la valeur-utilité. Cette dernière nous dit ainsi que les choses n’ont pas de valeur intrinsèque : elles n’en n’ont que parce que nous leur en donnons. Pour le dire avec des mots de chercheur en science économique, ce sont nos préférences qui déterminent la valeur que nous accordons aux choses : si vous adorez Star Wars et que l’amour de votre vie pas trop1, cet univers aura nettement plus de valeur à vos yeux qu’à la sienne – et vous serez vraisemblablement prêt à allouer de nombreuses ressources, que ce soit de l’argent, du temps, de l’énergie, pour profiter de cet univers en vous achetant des figurines, en allant faire la queue le jour de la sortie d’un nouveau film, etc.

La valeur-utilité est donc une mesure subjective de la valeur, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle résout le paradoxe de la valeur : le diamant que vous avez trouvé en Australie a de la valeur non pas parce qu’il vous a fallu beaucoup de travail pour le « produire », mais parce qu’il se trouve qu’une part importante des humains considère que les diamants ont de la valeur – et sont donc prêts à mettre beaucoup d’argent pour en acquérir. À ce propos, l’origine de ces préférences n’entre traditionnellement pas dans le champ d’étude de la science économique. D’autres sciences humaines et sociales, comme la psychologie ou la sociologie, sont nettement mieux armées que la science économique pour étudier cette question ; le chercheur en science économique se contente « seulement » d’observer ces préférences et étudie leurs conséquences – on dit qu’il raisonne à préférences données.

Australie
Les diamants sont éternels. L’Australie, aussi. Unsplash

Comment, enfin, passe-t-on de la valeur au prix avec la valeur-utilité ? Je vais un peu souffler le chaud et le froid : d’un côté, je vais vous répondre que le fascinant mécanisme qui produit cette transformation est le marché, de l’autre, le marché est un concept tellement important en science économique qu’il mérite d’avoir son propre chapitre ?

Disons seulement, pour vous faire un peu patienter, que le marché agrège la totalité des valeurs individuelles pour aboutir à une sorte de « valeur collective » d’un bien ou d’un service : le prix. Ainsi, que ce soit pour un diamant trouvé en Australie, une figurine Star Wars ou toute autre chose, le prix est donc un objet économique nettement plus profond qu’un simple morceau de papier sur lequel on aura griffonné quelques chiffres exposés à la vue de tous.

To be continued…

[accordion] [pane title= »En résumé » start=open]
  • Qu’est-ce qui fait la valeur des choses ?
  • La valeur-travail suppose que la valeur dépend de la quantité de travail nécessaire à sa production.
  • Le paradoxe de la valeur montre cependant les limites de cette hypothèse.
  • La valeur-utilité a remplacé la valeur-travail. Elle suppose que la valeur des choses dépend de nos préférences individuelles, la valeur étant alors vue comme subjective.
  • Le marché agrège les valeurs-utilité individuelles en une valeur « sociale » : le prix.
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  1. Toute référence à des situations réelles est purement fortuite. ↩︎

Par Olivier Simard-Casanova

Économiste et doctorant en économie, je suis le fondateur de L'Économiste Sceptique.

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